Mathieu Jahnich – Consultant-chercheur en communication et transition écologique

5 octobre 2022

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Lors de notre Positive Talk du 14 avril, nous avons eu le plaisir de recevoir Mathieu Jahnich, consultant-chercheur en communication et transition écologique. Pour l’occasion, nous avons échangé avec ce professionnel de la communication responsable sur le greenwashing dans la communication et les manières de lutter contre le phénomène tout en restant créatif.

Question 1 : Le greenwashing c’est quoi ? 

D’une façon très générale le greenwashing c’est l’utilisation abusive de l’argument écologique et on distingue 4 grands signes de greenwashing : on a la promesse mensongère ou disproportionnée, on peut avoir aussi des éléments qui manquent de preuve ou de clarté, on a l’utilisation d’éléments naturels ou des logos qui font penser à des labels officiels, et puis on a le dénigrement de comportements qui sont favorables à la transition ou au contraire l’encouragement à des comportements non soutenables.

Question 2 : Le greenwashing c’est fait exprès ? 

D’une manière générale, les entreprises ne tombent pas volontairement, ne provoquent pas le greenwashing de façon intentionnelle, on est plutôt dans la maladresse, l’inattention, une méconnaissance des règles déontologiques. Ce qu’on peut constater toutefois c’est qu’on a une première vague de greenwashing dans les années 2000 en France, où là il y avait un démarrage des stratégies de développement durable des entreprises et on avait des communications qui étaient en décalage entre ce qu’elles faisaient réellement et ce qu’elles annonçaient dans la publicité. Aujourd’hui, la plupart des entreprises ont pris conscience des enjeux, que ce soit aux changements climatiques ou aussi la perte de biodiversité, les conditions sociales dans lesquelles sont réalisés leurs produits et services et on sent qu’elles ont plus de matière. Par contre, on a toujours des techniques publicitaires qui posent des questions : le fait de vouloir prendre un détail, le fait de vouloir associer des éléments graphiques qui évoquent la nature. C’est là qu’on a des écarts et ça provoque du greenwashing. 

Question 3 : Un cas de greenwashing ? 

Les campagnes qui m’agacent le plus et qui posent un certain nombre de problèmes vis-à-vis de la transition écologique ce sont ces campagnes qui nous présentent l’achat d’un produit ou d’un service comme étant un geste pour la planète, ou comme “ce vêtement va protéger les océans” ou “va mettre fin aux déchets plastiques”. Pour moi il y a un enjeu qui est de présenter les impacts négatifs et positifs de l’action d’une marque et de ne pas laisser croire que l’achat d’un produit ou d’un service, même s’il est moins impactant, va avoir un effet bénéfique pour la société ou l’environnement. Je pense qu’il y a vraiment un écueil qu’il faut combattre et c’est là que c’est important de déposer des plaintes pour signaler ces problèmes-là.  

Question 4 : Un cas d’une campagne créative sans greenwashing ?  

Comme exemple de campagne inspirante que je présente régulièrement dans les formations que je peux faire, c’est une double campagne d’IKEA. Il y a une douzaine d’années IKEA avait fait un spot de pub qui était présenté en école de publicité comme un modèle de campagne, où on avait une personne dans son logement qui débranchait une lampe de bureau, qui fonctionnait encore, mais la personne avait envie d’en changer, elle la déposait sur le trottoir et elle a acheté une lampe IKEA qu’elle a installé chez elle. Le film prenait la place de la lampe, et on se sentait triste de voir cette lampe abandonnée sur un trottoir. A la fin il y avait une personne qui arrivait et qui me disait “vous vous sentez triste pour cette lampe, mais c’est n’importe quoi, c’est un objet, ça n’a pas de sentiments”. Une dizaine d’années plus tard, IKEA a tourné la suite de cette publicité et on a une petite fille qui passe sur ce même trottoir, qui repère la lampe, qui la prend et qui lui offre une seconde vie. Elle achète une ampoule, IKEA vend une ampoule dans ce spot-là, et la petite fille vit de merveilleux moments, seule ou avec ses amis, avec ses doudous et ses peluches autour de cette lampe-là. A la fin on a le même personnage qui vient et qui nous dit “vous vous sentez heureux pour cette lampe ? Vous avez bien raison, les produits ont plusieurs vies”. Je trouve que c’est intéressant cet exemple-là, d’avoir de très beaux films publicitaires, dans un premier cas où on valorise un comportement qui n’est pas responsable et aujourd’hui une marque qui se dit “je ne peux pas vendre la même chose et je peux accompagner mon public, les gens qui apprécient ma marque, vers des comportements plus soutenables”. 

Question 5 : Le greenwashing a-t-il encore de beaux jours devant lui ?

Malheureusement oui parce qu’il y a encore plein d’entreprises et d’agences qui ne sont pas sensibilisées aux enjeux, qui ne connaissent pas bien les règles déontologiques, et on voit que c’est quand même assez subtil. La particularité c’est que dans les années qui viennent on va avoir un durcissement réglementaire qui va contraindre les entreprises et les agences à monter en compétences sur ces sujets là et à essayer de contribuer à restaurer la confiance entre le discours des entreprises et le public, en particulier sur ces sujets d’allégations environnementales.  

Question 6 : Quels enjeux pour le métier de communicant de demain ?  

Face à la pression de la société civile, face au durcissement de la réglementation, un certain nombre d’entreprises va avoir tendance à dire “puisque c’est comme ça, je ne communique pas. Je continue à avancer sans essayer de valoriser mes engagements et mes résultats”. Je pense que c’est une erreur, on a besoin de la communication en interne pour mobiliser tous les salariés autour de cette démarche de soutenabilité. On a besoin de communiquer pour entrainer nos fournisseurs, nos partenaires, et bien sûr pour informer et engager le public. C’est là qu’on va avoir besoin de l’ensemble de la filière communication, publicité et marketing pour trouver, avec les annonceurs, les moyens de communiquer de façon sincère, transparente et aussi de communiquer sur les difficultés rencontrées, sur les limites d’une démarche. Aujourd’hui et de plus en plus demain, on aura besoin d’avoir des marques qui sont dans une posture d’humilité et de transparence par rapport à ces enjeux-là qui nous dépassent toutes et tous. Là-dessus la compétence des communicants sera primordiale.  

Question 7 : Un positive word pour conclure ? 

Alors mon positive word ça sera un double : désir et créativité, j’ai hâte de voir ce que les créatifs qui travaillent dans les agences, ou chez les annonceurs, vont pouvoir nous proposer comme campagnes de publicité qui vont nous donner envie de nous projeter dans une société qui est plus soutenable. Ce pouvoir créatif a été mis au service d’un modèle linéaire qui est aujourd’hui en bout de course et j’ai vraiment hâte de voir comment la puissance, les outils associés à la création vont pouvoir nous aider à nous projeter, à nous donner envie de changer nos comportements et de changer l’ensemble de la société.  

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