20 ans de lutte contre les stéréotypes sexistes dans la publicité

19 mars 2020

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Hasard du calendrier, c’est la semaine où nous organisons chez Saatchi & Saatchi une rencontre débat sur le sexisme dans la publicité que le Figaro Magazine titre sur le retour de la censure et que Valeurs Actuelles choisit de s’emporter violemment contre la « folie féministe ». 

Plus que de passer en revue l’actualité, ce débat nous a permis de revenir sur 20 ans d’une lutte contre la violence symbolique à l’encontre des femmes en mots et en images dans l’espace public. En effet quand on écoute Marie-Noëlle Bas qui préside les Chiennes de Garde on comprend bien qu’il ne s’agit pas simplement d’un regard critique sur la création publicitaire, mais d’un vrai combat féministe pour que cesse une forme de violence faite aux femmes. Une violence, certes symbolique, mais une violence quand même, dont on sait très bien qu’elle n’est qu’une étape vers d’autres formes de violence. Les arguments de leurs détracteurs ont presque toujours été les mêmes : c’est de l’humour, c’est du second degré, c’est une liberté de transgresser… avec un sous-entendu lui-même empreint de sexisme : les féministes n’ont pas d’humour, elles ne comprennent rien et en plus elles veulent s’opposer à la liberté d’expression et de création.

Après 20 ans de lutte contre les stéréotypes sexistes, l’heure est au bilan.

La mode du porno chic qui montrait systématiquement les femmes soumises au désir masculin est largement derrière nous. Cette mode est allée jusqu’à représenter des scènes de viol en réunion esthétisées par les castings, le sens de la mise en scène et l’objectif des plus grands photographes. Mais cette mode a-t-elle cessé grâce au combat des féministes ou simplement parce que les créateurs ont trouvé l’inspiration ailleurs, ou encore parce que les consommateurs ont fini par se lasser des transgressions qu’elle leur imposait ? Comme les images pornographiques dont elles s’inspiraient ces publicités ont rempli leur objectif : elles se sont inscrites dans notre mémoire presque à notre insu.

Plus globalement, quand on regarde l’historique des publicités qui ont été épinglées par les Chiennes de Garde et par l’ARPP depuis 20 ans, il y a des publicités grossières et insignifiantes qu’on a tous oubliées mais il y a aussi de très bonnes publicités, ou a minima des publicités très efficaces. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler la publicité pour Babette dont même des non-professionnels de la communication se souviennent deux décennies après sa sortie, preuve de son impact et de sa capacité de mémorisation. A l’époque les Chiennes de Garde ont tiré la sonnette d’alarme non seulement parce que la publicité assimilait une femme à un  simple produit, en l’occurrence une crème semi-épaisse, mais surtout nous disait : « Babette, je la lie je la fouette et parfois elle passe à la casserole ». Et, circonstance aggravante, cette campagne d’affichage est sortie en même  temps qu’un rapport sur les violences conjugales.

En vingt ans, les choses ont changé. 

Le contexte sociétal a évolué. Le combat des femmes a trouvé d’autres formes, d’autres porte-paroles, d’autres cibles. Le féminisme lui-même s’est scindé entre féministes universalistes et féministes identitaires. Il a inspiré d’autres causes. Les mots ont également changé : on ne dit plus une écrivain mais une écrivaine, on ne parle plus de goût prononcé pour les amours adolescentes mais de pédophilie, on ne parle plus de crime passionnel mais de féminicide… 

L’ARPP et ses recommandations ont évolué également. Comme le souligne Magali Jalade, Directrice des Affaires Publiques et Juridiques de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, les règles déontologiques sont  régulièrement alimentées et actualisées pour tenir compte des cas signalés mais aussi des évolutions constatées ou de l’analyse de corpus plus larges de campagnes réalisées. Ainsi, quand le « name and shame » sur le sexisme est le terrain des associations militantes, l’ARPP se positionne plus largement sur l’image et le respect de la personne dans un registre de pédagogie et de recommandation dans l’élaboration des campagnes. 

Dans ce contexte, la profession s’est progressivement auto-régulée. Elle a su éviter certains écueils dans lesquels elle tombait régulièrement, elle a aussi testé d’autres limites et parfois imaginé que son combat devait être de lutter elle-même contre certains stéréotypes ou d’en créer de nouveaux. 

Face à ces adaptations, la vigilance est allée davantage dans le détail avec par exemple la création du  » Kit pour une communication non sexiste  » par Com’Ent qui explique très bien pourquoi la publicité a une vraie responsabilité et surtout comment elle doit l’exercer. L’auto-évaluation permet ainsi de s’interroger sur tout ce qui peut conduire à alimenter les stéréotypes sexistes : la représentation du corps, la posture physique, les métiers, la parentalité…

Qu’avons-nous gagné ? Qu’avons-nous perdu ? 

Vingt ans après Babette, la communication a sans aucun doute gagné en responsabilité en se confrontant au regard militant et en cherchant à améliorer ses pratiques par l’auto-régulation et la pédagogie. Pour autant elle n’a pas totalement échappé aux stéréotypes sexistes. A-t-elle perdu quelque chose de sa liberté et de sa créativité ? Je ne le crois pas : la création publicitaire n’échappe pas aux règles de la création et notamment à celle qui veut que les contraintes ne soient pas un frein à la créativité. Aujourd’hui, la communication se doit plus que jamais d’accompagner la transformation des entreprises, sa propre transformation et celle de la société en travaillant sur des raisons d’être qui ont du sens pour les marques et sur des communications responsables et reflet de la société qui font grandir celles et ceux qui les partagent.

Olivier Bailloux

Directeur du Planning Stratégique et Responsable RSE – Saatchi & Saatchi

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