Sebastien Bohler – Docteur en neurosciences, rédacteur en chef Cerveau & Psycho
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Dans notre série d’experts sur les « Nouveaux Récits & Imaginaires Collectifs », découvrez la Positive Interview de Sébastien Bohler docteur en neurosciences, rédacteur en chef de Cerveau & Psycho et auteur du livre « Le Bug Humain »
Il y décrypte les contradictions du cerveau humain et ce qui se cache derrière notre besoin de toujours plus consommer en nous apportant des solutions concrètes. Pour lui, cette compréhension et re-programmation de nos imaginaires est un préalable à une société plus durable.
Qu’est-ce que le « bug humain » ?
Le bug humain, c’est le fait que l’homme est un problème pour sa planète et que sa force et le
danger qu’il représente pour sa planète est dans son cerveau, c’est ce qui le distingue des autres
espèces. Et son cerveau est très puissant mais il a un défaut de fabrication : c’est-à-dire qu’il a une
partie profonde qui désire consommer ; et une partie plus évoluée qui comprend ce qu’il se passe
mais qui construit plein de machines pour aider la partie pulsionnelle à obtenir ce qu’elle veut en
termes de consommation. Les deux ensemble donnent un instrument : le cerveau humain, qui
exploite son environnement sans limites. Il a beaucoup de mal à se limiter parce qu’il vient d’une
époque où, pour nos ancêtres très lointains, se limiter aurait été extrêmement dangereux.
Quelle définition de la sobriété, du point de vue neurologique ?
La sobriété c’est la capacité à se satisfaire de moins, donc ça implique un certain contrôle sur cette
zone profonde de notre cerveau qui veut toujours plus. Et ce contrôle dans notre cerveau, il est
exercé par la zone la plus antérieure de notre cerveau, située au niveau du front, qui s’appelle le
cortex préfrontal. Il est très développé chez l’être humain et nous permet de dire « ça suffit, je ne
suis pas obligé de consommer tant que ça ». Et ça a été très utile pendant des milliers d’années pour permettre aux humains de vivre ensemble en société ; parce que pour vivre en société, il faut se contrôler. Alors simplement, au cours des cinquante dernières années on a été habitués à se dire « finalement on n’est pas obligés de se contrôler puisqu’il y a une énergie infinie, des moyens
techniques infinis, des rendements agricoles infinis… c’est open bar ! ». Mais ça aujourd’hui ce n’est plus possible. Donc tout le but, c’est de remettre en action ce cortex préfrontal pour lutter contre le striatum et reprendre le contrôle de notre destin.
Est-il possible de remobiliser notre cerveau ?
Il est possible de remobiliser cette partie si importante de notre cerveau, qui est la clé de la sobriété. Comment ? D’une part en s’entourant de personnes qui font pareil ; parce que seul c’est extrêmement difficile. Si je vous demande maintenant de ne plus jamais prendre l’avion, de ne plus utiliser votre téléphone, de ne plus manger de viande etc. pour sauver le monde et que vous êtes le seul à le faire, vous allez me dire « c’est une goutte dans l’océan, ça ne sert à rien, c’est impossible ». Il faut se mettre à plusieurs et il faut travailler de façon répétée, sans traîner pour renoncer à des petites choses, et graduellement renoncer à de plus en plus. Pourquoi ? Parce qu’on sait ce qu’il se passe dans notre cerveau à ce moment-là : il y a des connexions entre le cortex préfrontal qui est une zone de contrôle et le striatum qui lui, veut toujours plus ; et ce sont des connexions qui vont éteindre le striatum. Ces connexions, plus on les utilise, plus elles grossissent, plus elles se musclent, plus elles sont efficaces. On peut comme ça rééduquer par exemple, des enfants qui ont perdu toute capacité de patience, qui se jettent sur leur console de jeu en rentrant de l’école et qui sont incapables de se dire « je dois ranger ma chambre d’abord ». Si on augmente progressivement le temps pendant lequel ils vont devoir résister au plaisir instantané, progressivement ces fibres-là vont se remuscler et la capacité de contrôle va reprendre le dessus progressivement. Ça doit être un travail de groupe et un travail dans le temps.
Quelles conditions sont nécessaires ?
Finalement, ce projet n’a de sens qu’à un niveau collectif, à grande échelle. On parle d’entraîner un
mouvement, une bascule d’une société d’hyper consommation à une société de conscience et demaîtrise. Et ça ne peut fonctionner qu’à l’échelle planétaire pratiquement, donc ça va poser aussi la question des conditions politiques et sociales ; là se pose cette question de la transparence, de
l’exemplarité et de l’équité, puisque les cortex préfontaux ne peuvent se mettre en action que s’ils
sont rassurés sur le fait que tout le monde joue le jeu. Donc ça c’est la transparence, ça c’est la fin des passe-droits, de l’opacité que ce soit dans les rapports économiques, le rôle des multinationales, les lobbys, les privilèges, le pouvoir pyramidal, etc. On sait que si on veut relancer le cortex préfontal et faire des sacrifices à plusieurs, c’est ça qu’il faut faire : la psychologie sociale des neurosciences nous dit « c’est ça qu’il faut faire ». Donc il faut à ce moment-là avoir le courage de poser cette question qui est celle de la répartition des richesses, l’opacité, de l’exemplarité et de l’équité ; donc ça c’est une première chose. La deuxième chose, c’est de se renseigner, de savoir – il y a une culture des débats publics sur le fonctionnement de notre cerveau, ces notions-là ne sont pas à portée du grand public – et savoir comment notre cerveau fonctionne, c’est un outil fantastique, pour se dire c’est possible,
notre cerveau peut le faire.
Un positive word pour conclure ?
Le mot positif pour moi ce serait « un défi passionnant et sans précédent », parce que, pour la
première fois, l’humanité est placée devant cet enjeu-là : se poser à elle-même ses propres limites.
Elle a été très forte pour s’étendre à la surface de la Terre, tout dominer, et aujourd’hui ça devient un danger mortel pour elle. Est-ce qu’elle a la capacité de se dire : pour survivre, je vais devoir aller contre cet instinct d’expansion ? Et c’était une question de la philosophie des anciens qui disaient que la vie vertueuse, c’est la tempérance, la capacité à ne pas exercer toute la puissance dont on dispose,présente dans énormément de textes de la philosophie antique ; et ça correspondait à une recherche de vie vertueuse, d’éthique personnelle. Et aujourd’hui, ce n’est plus simplement un enjeu d’éthique personnelle, c’est un enjeu de survie. Donc je pense que c’est un défi qu’on peut se poser à tous, quel que soit le pays où on habite, la langue qu’on parle, il en va un petit peu de savoir si l’humanité a cesuperpouvoir, ou si c’est juste une espèce de logique comme les autres, totalement déterminée par son instinct de croissance et qui a juste des machines pour l’aider à le faire. Je pense qu’il en va un peu de la dignité humaine et que ça devrait pouvoir nous aiguiller un petit peu.